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CETA, Mercosur : le libre-échange n’a plus de majorité politique en France

Mediapart | 27 mars 2024

CETA, Mercosur : le libre-échange n’a plus de majorité politique en France

par Maxime Combes

Economiste, travaillant sur les politiques climatiques, commerciales et d’investissement

Ceux qui lisent le vote du Sénat sur le CETA comme un vote de circonstance, guidé par des enjeux politiciens liés aux élections européennes, font fausse route : il n’y avait déjà plus de « majorité sociale » pour négocier, signer et ratifier ces accords de libre-échange. Il n’y a désormais plus de majorité politique en France pour cela. Ce vote ouvre la difficile bataille sur les alternatives.

Ce jeudi 21 mars, le Sénat a voté très majoritairement contre la ratification du CETA (lire le communiqué du collectif Stop CETA). Ceux qui n’y voient qu’un vote de circonstance, guidé par des enjeux politiciens liés aux élections européennes, font manifestement fausse route : il n’y avait déjà plus de « majorité sociale », ie au sein de la population française, pour négocier, signer et ratifier ces accords de libre-échange, et, plus largement, pour approfondir la mondialisation néolibérale. Ce vote du Sénat, que le gouvernement ne voulait pas organiser par crainte du résultat, montre qu’il n’y a désormais plus de majorité politique en faveur de ces accords de libre-échange.

Pour qui a un peu de mémoire, il n’y a pas de quoi être surpris. Sous pression de la société civile, la France est l’Etat qui a mis fin aux négociations de l’AMI, l’Accord multilatéral sur l’investissement, en 1998, qui proposait une libéralisation accrue des échanges et des investissements étrangers. C’est aussi par rejet des principes de « concurrence libre et non faussée » et d’approfondissement néolibéral de l’économie qu’une majorité d’électrices et d’électeurs avaient voté contre le Traité constitutionnel européen en 2005. C’est enfin en France que les études d’opinion montrent le rejet le plus massif des accords de libre-échange négociés ces dernières années, du TAFTA au Mercosur, en passant par le CETA.

Il aurait été incongru que cette aspiration collective consistant à reprendre la main sur une mondialisation perçue comme incontrôlée, nocive et source de fragilités ne trouve pas de traduction politique. L’incapacité de la gauche au pouvoir entre 2012 et 2017 à prendre en considération ces attentes fut d’ailleurs une lourde faute politique. Le résultat très étriqué obtenu à l’Assemblée nationale en 2019 sur la ratification du CETA (265 pour sur 553 votants dont 77 abstentions et d’innombrables défections du camp présidentiel) fut un premier avertissement pour la majorité présidentielle d’Emmanuel Macron. Désormais, Emmanuel Macron ne trouvera plus de majorité pour le CETA, ou pour l’accord UE-Mercosur, au sein du Parlement français.

Lucide, l’exécutif français en prendrait acte et profiterait des élections européennes pour ouvrir grand et large un débat public nourri sur l’avenir de la mondialisation et de la politique commerciale européenne. Recroquevillé sur lui-même et perclus dans ses certitudes, il préfère agiter quelques statistiques discutables (1) et agiter la peur pour tenter de refermer un débat nécessaire qu’il ne veut manifestement pas ouvrir. Pire, en annonçant refuser d’inscrire le CETA à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, ce qu’il ferait pour n’importe quel autre texte législatif, il mobilise les pires pratiques institutionnelles et n’hésite pas à piétiner la représentation nationale.

Qu’il n’y ait plus de majorité, ni dans la population, ni dans le monde politique, pour ratifier de tels accords pose pourtant de redoutables défis qu’il faudrait affronter de front plutôt que de tenter de les remettre sous le tapis : comment à court-terme gérer un tel désaccord au sein de l’UE alors que les 27 Etats-membres ne sont pas alignés sur la même position ? Comment retire-t-on les mandats de négociation, tous relativement similaires, dont la Commission dispose pour négocier et/ou conclure de nouveaux accords ? Comment à court et moyen terme modifier la doctrine commerciale de l’UE ? Comment re-réguler les secteurs, tels que l’agriculture, pour lesquels cela est urgent ? Etc.

Sur tous ces sujets, les organisations de la société civile ont des propositions concrètes. Il serait préférable d’en débattre publiquement plutôt que de chercher à éviter le débat. Sur tous ces sujets également, les gauches insoumises, écologistes, communistes, et même socialistes si le cœur leur en dit, auraient intérêt à ne pas en rester au slogan, comme trop souvent, et proposer un horizon émancipateur et des propositions concrètes pour desserrer l’étau des règles qui organisent cette mondialisation néolibérale et nocive et reconstruire des régulations publiques européennes et internationales.

Si le vote du Sénat sur le CETA indique, comme nous le pensons, que le libre-échange n’a plus de majorité politique en France, il ouvre la bataille sur les alternatives. Trois grandes options sont sur la table :

  • un repli identitaire et xénophobe qui rabat sur la frontière, que ce soit à gauche ou à droite, le levier de la souveraineté économique ;
  • une forme de libre-échange autoritaire que Bruxelles et Paris pourraient être tentés de maintenir coûte que coûte pour sauver leur idéal de civilisation du marché mondial ;
  • la relocalisation écologique et sociale visant à faire décroître les flux de capitaux et de marchandises et réduire la place des secteurs toxiques pour la biosphère tout en fournissant de quoi satisfaire les besoins des populations et des territoires.

La dernière, que vous avons exposée dans un livre et une contribution pour un livre collectif ne se fera pas en deux coups de cuillère à pot. Le défi est immense. Les organisations de la société civile et les gauches politiques doivent y consacrer bien plus de moyens, d’énergie et de moments de réflexion qu’aujourd’hui. Et penser que toutes les réponses sont déjà là est au mieux une illusion dangereuse, au pire un aveuglement coupable.

(1) Beaucoup des statistiques mises en avant par le gouvernement pour justifier le CETA sont données en valeur, sans être déflatées, c’est-à-dire corrigées de l’inflation. Lorsqu’on prend en compte l’inflation, les résultats sont bien moins significatifs.


 source: Mediapart