Business versus droits : en Colombie et au Pérou, la France a fait son choix

Mediapart | 15 septembre 2015

Business versus droits : en Colombie et au Pérou, la France a fait son choix

Amélie Canonne

L’Assemblée nationale est invitée mercredi 16 septembre à ratifier l’accord de libre-échange conclu au printemps 2012 entre l’Union européenne d’une part et le Pérou et la Colombie d’autre part.

C’est donc dans la précipitation de la rentrée parlementaire, sans aucun débat public préalable et au milieu d’un paquet d’accords internationaux que sera voté un accord commercial aux impacts énormes pour les populations de deux des pays les plus pauvres d’Amérique du Sud.

Elégance de la démocratie européenne : les volets commerciaux de l’accord, bien qu’il soit mixte (c’est à dire de compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres) n’ont pas eu besoin des 28 ratifications nationales pour être mis en œuvre depuis le printemps 2013. Mais légalement, les 28 États membres de l’UE doivent ratifier cet accord pour qu’il devienne formellement partie du droit de l’Union européenne. Si l’un des 28 refuse, alors l’accord est caduc. Magie des traités qui explique sans doute que, plus de trois ans après sa conclusion, l’accord n’ait pas été soumis à la ratification de certains parlements susceptibles de se préoccuper de son contenu et de ses conséquences.

Mais qu’à cela ne tienne, la France a trouvé la parade : introduire le projet de loi discrètement, sans tambours ni trompettes, dans la confusion de la rentrée parlementaire, avant que personne n’ait eu le temps de réagir.

L’accord a notamment enclenché la libéralisation complète du commerce agricole entre les parties, moyennant quelques mécanismes "de sauvegarde". Or dès 2013, la Colombie a connu des grèves et des blocages très violents, organisés par les mouvements paysans. En cause : les importations agricoles massives – de lait européen en particulier - déclenchées par la signature des traités de libre-échange avec l’UE et les USA, et qui concurrencent directement les productions locales depuis la mise en œuvre du volet commercial de l’accord. La Fédération centraméricaine du secteur laitier a ainsi établi que « céder aux Européens causera[it] la ruine des 300.000 producteurs de lait et des 7.000 entreprises de la région générant plus de 2,5 millions d’emplois directs ou indirects », et ce malgré les mesures de sauvegarde prévues.

L’extraction et l’exportation de charbon de la Colombie et du Pérou vers l’Union européenne ont considérablement augmenté, et les droits des travailleurs colombiens sont toujours aussi peu respectés, alors que l’amélioration du sort des syndicalistes (56 assassinats en 2013-2014), notamment, était une des conditions mise par le Parlement européen à la poursuite de l’accord. Comment imaginer une concurrence commerciale un tant soit peu équilibrée quand la réponse apportée aux revendications des travailleurs est d’exécuter leurs leaders ?

On se souvient pourtant de Matthias Fekl, trémolos dans la voix, promettant en septembre 2014 l’avènement du débat et de la démocratie en matière de politique commerciale. Le même Matthias Fekl qui jurait peu de temps après que « le Parlement [aurait] le dernier mot ». Il en référait certes à l’accord transatlantique, et répondait, dans la panique générale, à la fronde populaire qu’avait déclenchée le lancement des négociations. Mais la Colombie et le Pérou n’ont pas l’air d’en mériter tant. Quand bien même, depuis plus de 4 ans, près de 200 organisations de défense des droits humains et de protection de l’environnement (y compris en France) alertent sur les effets (actuels et futurs) qu’aura sans aucun doute cet accord.

Pourtant la France est le premier employeur étranger en Colombie ; elle pourrait jouer un rôle de premier plan dans la promotion des droits fondamentaux au travail et la protection des syndicalistes dans le pays. En outre, ô coïncidence, en mai dernier, Airbus concluait la vente historique d’une centaine d’A320 à la compagnie colombienne Avianca, sous le bienveillant patronage de leurs gouvernements respectifs.

Dans ces conditions d’opulence, étant établi de surcroît que localiser Bogotá sur une carte et y dépêcher des experts n’avait rien d’impossible pour le génie français, se préoccuper sérieusement des droits économiques, sociaux et environnementaux des populations locales aurait été bienvenu. En l’occurrence, informer les élus français qui devront se prononcer demain et jeudi aurait été grandement souhaitable. L’évaluation sérieuse des impacts sociaux et environnementaux de l’accord en question aurait été salutaire ; elle aurait notamment fait la lumière sur la réalité des régimes d’extraction intensive promus par l’Union européenne dans le cadre de ses négociations commerciales avec des pays tiers.

Surtout, l’organisation d’un débat public, éclairé par la présence et la parole d’experts indépendants et d’acteurs locaux, aurait été un minimum. Elle aurait en outre permis au gouvernement français d’enfin briller par un acte aussi élémentaire que sublime : tenir, pour une fois, un de ses engagements.

Lire la lettre ouverte signée par 12 associations et syndicats français à Matthias Fekl

source : Mediapart

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