Reporterre | 14 juin 2023
Le Mercosur est un accord de commerce néocolonial
par Maxime Combes, économiste, en charge des politiques commerciales et de relocalisation à l’Aitec
Avec le Mercosur, l’Europe va « puiser dans les pays du Sud les matières premières nécessaires pour maintenir quoi qu’il en coûte nos modes de vie », résume l’économiste Maxime Combes dans cette tribune.
Mardi 13 juin, des députés ont voté à l’Assemblée nationale une résolution critique mais non contraignante sur l’accord UE-Mercosur. Présentée comme « un nouveau pacte de confiance pour le libre-échange » par le député Modem Pascal Lecamp qui en est le premier signataire, cette résolution a été reçue par le ministre du Commerce Olivier Becht comme établissant une « très forte convergence » avec la position du gouvernement. Elle a été jugée « insuffisante » par le collectif national Stop-Mercosur.
Trois ans après les innombrables promesses de relocalisation entendues pendant la pandémie de Covid, la mondialisation reste l’horizon unique de l’Union européenne. À Bruxelles, la Commission ne pense qu’à finaliser des accords de commerce qui ne pourront qu’aggraver notre dépendance aux marchés internationaux, avec tous les problèmes écologiques, sociaux et sanitaires qui en découlent : l’accord de libéralisation du commerce UE-Mercosur, et d’autres avec le Mexique et le Chili, au plus tard d’ici à décembre 2023.
La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, est d’ailleurs actuellement en visite officielle en Amérique du Sud. Favorable à l’accord, elle voudrait pouvoir annoncer des résultats tangibles lors du sommet qui rassemblera les États de l’UE et de l’Amérique latine et des Caraïbes les 17 et 18 juillet prochains à Bruxelles.
En 2030, le Mercosur pourrait fournir jusqu’à 26 % du rumsteck servi en Europe
Avec les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay), il s’agit par exemple d’importer 99 000 tonnes de viande bovine en plus à un droit de douane réduit : en 2030, le Mercosur pourrait fournir jusqu’à 26 % du rumsteck servi en Europe, selon une étude récente. Il s’agit aussi d’importer plus de soja ou d’éthanol tiré de la canne à sucre, productions de monoculture qui engendrent toujours plus de déforestation en Amazonie, dans le Cerrado ou dans les forêts tropicales sèches du Chaco.
Du Brésil, du Chili et du Mexique, l’UE entend également augmenter et « sécuriser » ses importations de cuivre, de fer et de lithium, ainsi que d’autres métaux stratégiques, pour développer ses infrastructures électriques, ses filières industrielles d’une économie annoncée comme décarbonée ou encore produire des batteries électriques en Europe.
Le cas du lithium est emblématique : il ne faudrait pas critiquer les projets d’extraction envisagés en Europe au nom de « la souveraineté » et, en même temps, nous devrions acquiescer aux velléités d’en importer massivement du Chili et d’Argentine – avec la Bolivie, ces pays possèdent 65 % des réserves mondiales – sans que les pays extracteurs puissent le transformer sur place. Charge aux pays exportateurs de supporter les conséquences de son extraction sur la ressource en eau et l’environnement.
Une vision néocoloniale de l’économie
Ces accords UE-Mercosur, UE-Mexique et UE-Chili enfermeront un peu plus ces pays dans un modèle d’extraction et d’exportation de matières premières, au détriment du développement d’une industrie, de services et d’une agriculture capables de fournir des emplois et des produits locaux de qualité aux classes populaires. En retour, ils s’engagent à ouvrir leurs marchés publics aux entreprises multinationales européennes plutôt que de développer des services publics d’éducation ou de santé de qualité. Tandis que l’UE prévoit de leur vendre plus de pesticides, y compris ceux qui sont interdits d’utilisation sur le sol européen, ainsi que les véhicules thermiques dont nous ne voulons plus.
Anachroniques, ces accords portent en eux une vision néocoloniale de l’économie et des échanges commerciaux mondiaux : nous continuerions à puiser dans les pays du Sud les matières premières agricoles, minières ou énergétiques nécessaires pour maintenir quoi qu’il en coûte nos modes de vie dispendieux en ressources, y compris en organisant ici un semblant de verdissement de notre économie, tout en laissant aux pays du Sud la charge de vivre avec les conséquences environnementales et sociales qu’un tel modèle si déséquilibré engendre immanquablement : déforestation, pollutions, perte de biodiversité, violations des droits humains, dévastation des terres des populations indigènes, etc.
Cela ne saurait durer. Bien entendu, la situation géopolitique mondiale impose de renforcer les liens entre les populations européennes et latino-américaines, ne serait-ce que parce qu’il nous faut conjointement œuvrer efficacement pour limiter le réchauffement climatique, la déforestation et la perte de biodiversité. Mais la Commission européenne n’a-t-elle donc rien de mieux à proposer qu’un accord de commerce obsolète venant tout droit des années 1990 et qui ne tient aucun compte de l’impératif climatique ?
Avec les pays du Mercosur, dont le Brésil, il s’agit par exemple d’importer 99 000 tonnes de viande bovine en plus à un droit de douane réduit. © Joao Laet/AFP
Là où il faudrait que les règles du commerce et de l’investissement soient revues et limitées au nom de l’impératif climatique et écologique, comme le propose la société civile dans son appel « Pour une alternative à l’accord de libéralisation du commerce UE-Mercosur », ces accords organisent strictement la logique inverse : les politiques climatiques sont acceptées à condition qu’elles ne contreviennent pas aux règles prévues pour augmenter le commerce international de biens et services, dont les modes de production sont par ailleurs souvent insoutenables.
La France « n’a jamais été opposée à la signature de cet accord »
Pour tenter d’éteindre la critique, la Commission européenne a proposé d’ajouter à l’accord UE-Mercosur ce qu’elle appelle « un instrument joint » énumérant une série d’engagements existants en matière de climat, de déforestation et de biodiversité. Ce document ne modifie pas l’économie générale de l’accord. Du côté du Mercosur, Lula vient d’affirmer à plusieurs reprises qu’il n’était pas satisfait de la partie « marchés publics » de l’accord, jugée trop défavorable aux entreprises brésiliennes.
Après avoir initialement soutenu l’accord UE-Mercosur, Emmanuel Macron affirme désormais qu’il n’est pas acceptable « en l’état », sans pour autant rejeter les accords avec le Mexique et le Chili. Son ministre du Commerce, Olivier Becht, vient d’ailleurs d’affirmer que « l’accord UE-Mercosur contient des dispositions très favorables à nos entreprises » et que l’exécutif « n’avait jamais été opposé à la signature de cet accord », laissant penser que le « non en l’état » pourrait devenir un « oui, mais plus tard ».
Les prochaines semaines seront donc clé : la Commission va-t-elle réussir à imposer son agenda ou bien, alors, va-t-il enfin être possible de stopper la ratification de tels accords et de revoir de fond en comble la politique commerciale européenne ?